Et le pari est tenu, clairement tenu. Bénéficiant d'un gros travail scénaristique d'un studio, français qui plus est, qu'on ne présente plus, Life is Strange boucle la boucle avec talent et efficacité. A travers cinq épisodes, à l'image de la cadence qu'offre les jeux de Telltale, le jeu d'aventure de Dontnod déroule l'histoire de Maxine, alias Max, une jeune fille qui découvre qu'elle peut remonter dans le temps à volonté. Timide lycéenne au cœur pur, elle usera de son pouvoir pour faire le bien autour d'elle et renouera son amitié avec Chloé, une ancienne amie qui a quitté le droit chemin. Un scénario de roman à l'eau de rose ou de série de super héros de la chaîne américaine CW, certes, si on en restait à ce niveau.
Mais, bien plus qu'on ne l'avait entrevu dans le premier épisode, la narration amènera les personnages au-delà de cette simple amitié lycéenne et d'une banale apologie du bon face au mal. Life is Strange, c'est le récit d'une quête initiatique, autant celle de Max qui découvrira ses pouvoirs et qu'on ne peut modifier le passé sans en subir les conséquences dans le futur ; que celle de Chloé, qui devra faire face à ses démons et à ses actions. C'est aussi une histoire sur les adolescents qui doivent devenir des adultes. On y parle de plusieurs thèmes comme la drogue, le suicide, les frat party où on se livrent à toute sorte de débauche, mais aussi de la découverte de la bisexualité ou du viol (on ne va pas trop spoiler sur ce côté).
Bref, Dontnod a voulu faire un jeu qui laisse à réfléchir ados et adultes, tout en restant très ludique.
Comme les séries de Telltale donc, chaque action de l'héroïne influence la suite du jeu. Certaines actions sont déterminantes pour la suite et illustre le fameux effet papillon (dont l'animal symbolise le personnage de Chloé tout au long de la saga), d'autres ne sont que des façons de faire faire à Max plusieurs bonnes actions (ou pas, d'ailleurs). En d'autres termes, tous les défis rencontrés sont des façons d'aborder le thème de la responsabilité et de l'émancipation lors du passage à l'âge adulte. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, loin d'être paternaliste tout le temps, le manuel du jeu propose au (jeune) joueur de contacter les services sociaux «au cas où» certains des thèmes abordés le touchent particulièrement et qu'il a déjà subi la même chose. Une façon comme une autre de lutter contre le harcèlement scolaire et la violence infantile, on ne peut qu'adhérer.
Si on ne s'attarde qu'au jeu, maintenant, l'honnêteté que je mets au plus haut point dans mes articles me pousse à vous avouer que j'ai écrasé une petite larme à plusieurs reprises, et notamment dans un épisode final qui a tenu toutes ses promesses. S'il existe une demi-douzaine de fins différentes selon vos actions -à ce qu'on dit- il n'y en a que deux globales qui diffèrent. L'une ou l'autre pourra vous convenir et vous donner l'impression que l'histoire a su se terminer. Voire les deux, voire aucune, c'est selon, et c'est la raison pour laquelle de nombreux joueurs ont terminé leurs critiques sur Steam en disant «tout ça pour ça». De notre côté, en ayant vu les deux fins principales, on ne pouvait rêver mieux pour ce jeu, qui nous aura fait passer par tout un tas d'émotion, notamment grâce à une mise en scène au poil et des personnages attachants, tous très stéréotypés, mais dans lesquels on pourrait tous se retrouver, entre le geek, le petit gros un peu harcelé, la catho coincée, la prof philosophe, le crétin de quaterback ou la rebelle décolorée…
Max, elle-même, la protagoniste principale, est le personnage le plus charismatique bien qu'étant presque la plus introvertie. Sa quête la transforme radicalement, aussi bien mentalement que physiquement à certains moments, et on la découvre alors sous un autre jour. La jeune fille timide qui rêve de devenir photographe va même un peu voyager en dehors des quelques petits lieux de son quartier qui sert d'intrigue, et se mettre donc en danger. De quoi voir d'autres décors, relancer un peu l'intrigue, aller de temps en temps en extérieur, même si la formule de jeu empêche le joueur d'aller bien loin de la scène, grâce à des murs invisibles. Quant à la qualité graphique, l’attention est portée aux décors un peu saturés (style filtre Instagram yolo hashtag trokewl, m'voyez?) et aux ambiances lumineuses bien retranscrites. Globalement, on restera très souvent dans des tons chauds, orangés, sepia. Les rares passages dans des coloris de bleus ou de blanc dénotent clairement avec le caractère mélancolique et onirique du jeu. Et forcément, ces passages perturbants sont des points clés du jeu, là où tout se dénoue. Du grand art de la part du développeur, qui nous avait déjà régalé dans son Remember Me.
D'ailleurs, Life is Strange, c'est un peu Remember Me adolescent. Un personnage principal féminin, la thématique du voyage dans le temps et ses répercussions, un monde pré ou post-apocalyptique. Ah oui, on l'oublie, mais Max, depuis le premier épisode, doit aussi se battre contre un rêve de fin du monde qu'elle n'arrête pas de faire. Dans la technique, c'est aussi similaire: du QTE en guise d'interaction, du point & click de base avec beaucoup de dialogues et des tableaux à vérifier de fond en comble. Pas forcément d'ailleurs, puisqu'on peut avancer dans l'intrigue sans trop se fouler. C'est le seul vrai problème qu'on pourrait reprocher au jeu, qui est assez mécanique (c'est le style qui veut ça) et n'apporte pas de surprise sur le plan du gameplay. Tout l'inverse de l'histoire, qui a son lot de rebondissements, jusqu'à la dernière minute.
Techniquement enfin, le doublage est très convainquant (car en VO, sans doute) et l'ambiance générale des menus et des actions contextuelles font entrer le jeu dans un réalisme assez poussé. La jeune fille utilise son smartphone et son cahier de texte pour noter son journal et pour sauvegarder, on peut y retrouver des clichés qu'elle fait avec son polaroïd (des collectibles à choper au fil des épisodes), et on reçoit très souvent des SMS, parfois qui n'ont aucun autre rôle que de nous faire rire entre deux passages sombres. Quant à la musique, c'est de la pure jouissance auditive. Entre le thème principal To All of You et l'excellent Obstacles de Syd Matters, on se retrouve avec une compil post-rock / indie tout aussi onirique et mélancolique que le jeu, avec notamment du alt-J, du Bright Eyes ou du Mogwai. Quant aux chansons originales, elles ont été composées par Jonathan Morali, le leader de Syd Matters. Tiens, encore un Français.
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